L'arroseur arrosé : 4.2. Application internationale du droit de l'environnement et imputabilité des acteurs non étatiques
Sous un angle international, on peut déplorer l’existence de nombreux mécanismes visant à éviter la responsabilité de l’État ou l’application de sanctions contre des particuliers.
4.2.1 Le recours aux contractuels civils
Le recours aux contractuels civils, abordé au point 3.1.1, est un moyen aisé pour un État de se dérober à sa responsabilité. Cela requiert une stratégie entièrement différente qui ne relève pas du droit international de l’environnement ni du droit international humanitaire. Par exemple, en déposant une plainte le 11 septembre 2001 devant une Cour du District de Columbia, des groupes environnementalistes équatoriens ont intenté des poursuites contre la firme DynCorp en vertu du Alien Tort Claims Act (vieille loi datant de 1789) et du Torture Victims Protection Act. Il s’agit donc d’une tentative de donner une portée extraterritoriale à des lois fédérales. Les délais ont fait en sorte que le jugement (ou le rejet de la plainte) n’avait toujours pas été prononcé en 2004. Entretemps, DynCorp, qui était l’un des plus gros fournisseurs privés de l’armée américaine, a été rachetée par la firme de « services informatiques » Computer Sciences Corporation en 2003.
4.2.2 Le recours aux accords relatifs à l’article 98 du Statut de Rome
Stipulant que la Cour Pénale Internationale (CPI) a compétence à l’égard des crimes de guerre, le Statut de Rome [61] ouvre une porte intéressante aux défenseurs de l’environnement en faisant sien le principe de proportionnalité. En effet, selon l’article 8 §2 (b), les crimes de guerre s’entendent par :
b) Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux dans le cadre établi du droit international, à savoir, l’un quelconque des actes ci-après :
[...]
iv) Le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu;
Il a été fait mention de l’échec du test de proportionnalité au point 3.2.3. Resterait donc à prouver l’élément d’intentionnalité des gens impliqués.
Il est regrettable que la protection offerte par le statut de Rome n’ait pas été étendue aux conflits armés non internationaux. Ni l’ingérence états-unienne, ni les escarmouches entre les forces venezuéliennes et colombiennes à la frontière du département d’Arauca n’ont pour l’instant été suffisantes pour qualifier la situation de conflit international (contrairement à la guerre d’opérette entre le Pérou et l’Équateur de 2000, due à quelques nappes de pétrole, et qui fut résolue grâce aux bons offices du Brésil).
En 2002, afin de compliquer encore plus les choses, le Congrès des États-Unis a adopté le American Service Members Projection Act, protégeant ainsi ses ressortissants contre d’éventuelles poursuites intentées devant la CPI. Cette loi interdit toute assistance militaire aux pays signataires du Statut de Rome qui refuseront d’octroyer l’immunité aux ressortissants américains par le biais d’un accord bilatéral. [62]
Signe encourageant pour la paix et l’environnement, la Bolivie, le Venezuela et l’Équateur ont vu leur aide militaire suspendue à partir du 1er juillet 2003!
4.2.3 L’utilisation de l’ONUDC ou toute autre agence mandataire
Lorsqu’il s’agit de financer les activités dommageables pour l’environnement, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 90 pour cent du budget de l’ONUDC provient de quelques grands donateurs (dont les États-Unis, le Japon, l’Italie et le Royaume-Uni), et cette agence se trouve dans la difficile position de devoir apparaître « indépendante » des pays donateurs, tout en menant à bien les visées politiques de ceux-ci afin d’assurer sa propre survie. [63]
Cela pose la question fort complexe de la responsabilité de l’ONU en matière d’environnement. À titre de comparaison, « l’impossibilité, pour l’ONU, de devenir partie contractante aux instruments internationaux pertinents (ouverts seulement aux États), ainsi que son manque de volonté à être considérée comme une partie à un conflit, ont fait sérieusement douter de l’applicabilité du droit humanitaire à ses forces armées ». Depuis les années 1990, les forces onusiennes ont toutefois accepté de se plier aux « principes et à l’esprit du droit humanitaire », ce qui constitue une solution plutôt floue. [64] Par conséquent, même si les casques bleus sont depuis une dizaine d’années tenus de respecter le droit humanitaire, l’environnement ne sera protégé qu’indirectement, selon « les principes et l’esprit » de l’article 54 §2 du Protocole I, ou les articles 14 et 15 du Protocole II. Maintenant, reste à savoir si cette volonté d’imputabilité visant les Casques bleus s’étendra aussi aux bureaucrates de l’ONU, confortablement installés dans leurs locaux de Vienne, Genève, New York ou Bogotá. Rien n’est clairement stipulé à cet égard, et pour l’instant c’est uniquement en regard du droit interne des pays où ils oeuvrent qu’ils pourraient éventuellement être poursuivis.
[61] Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 17 juillet 1998, 2187 R.T.N.U. 3 (Entrée en vigueur le 1er juillet 2002).
[62] L’article 98 du Statut de Rome stipule en effet que la CPI ne peut exercer sa compétence là où existe un tel accord. Par ailleurs, les pays de l’OTAN ainsi que l’Argentine (en tant que « major non-NATO ally » ) sont exemptés du American Service Members Projection Act.
[63] Jensema, E.H. et F. Thoumi, 2004. « Drug policies and the funding of the United Nations Office on Drugs and Crime », dans Global Drug Policy: Building a New Framework. Paris: The Senlis Council. En ligne: http://drug-policy.org/documents/Thoumi_Jensema_paper
[64] Mollard-Bannelier, Karine, 2001. Op. cit., pp.375-376.
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