Au pays des poteux

ASUD, le 21 mars 2005, numéro 28
Par Mathias Marchal
Au Québec, 20% des jeunes âgés de 12 à 17 ans fument du pot. Le cannabis supplante même la cigarette (15% de fumeurs réguliers) dans les poumons des adolescents québécois Mais les poteux ne se recrutent pas uniquement parmi les jeunes, et on en trouve dans toutes les tranches d‘âge de la population. Selon l‘Institut de la statistique du Québec, un adulte sur cinq aurait, en effet, allumé un joint au cours de la dernière année.
Cannabis thérapeutique
Rue Rachel à Montréal, une vitrine discrète indique au passant que c'est ici que se trouve le fumeux Club Compassion. À l'intérieur des murs, toute personne souffrant du VIH, d'épilepsie, de cancer, de sclérose en plaques, d'hépatite, de dépression et même de troubles du sommeil, peut acheter jusqu'à 4 grammes par jour de marijuana « certifiée équitable », c'est-à-dire cultivée biologiquement et ne venant pas de réseaux mafieux. Alexandre Néron gère ce lieu dont l'existence n'est pas légale, mais qui a néanmoins pignon sur rue : « On existe pour faciliter la distribution de cannabis médical et parce que le pot du gouvernement est de mauvaise qualité », dit-il. Le Club Compassion propose ainsi le choix entre dix variétés de cannabis dont chacune a ses spécificités : « la famille des lndica a un effet sédatif, on l'utilise surtout pour les douleurs physiques, alors que celle des Sativa concerne plus le côté cérébral, c’est-à-dire par exemple les angoisses ou les troubles du sommeil », explique Alexandre Néron.
La marijuana gouvernementale est produite au Manitoba, dans une ancienne mine reconvertie pour l'occasion. « L’installation leur a coûté 5 millions de dollars (3 millions d'euros) et le niveau de sécurité demandé dans le cahier des charges est le même que si l'on surveillait du plutonium ! », raille le gérant du Club Compassion avant de renchérir : « Le processus pour obtenir le cannabis thérapeutique du gouvernement est hyper bureaucratique et cela décourage le monde. »
De fait, le gouvernement songe désormais à faire distribuer sa marijuana à usage médical par l'intermédiaire des pharmacies et non plus par la poste, comme c‘est le cas actuellement. Une option qui ne suscite guère d'enthousiasme chez les pharmaciens. Pour Claude Julien. président de l'Ordre des pharmaciens du Québec, le gouvernement ne doit, en effet, pas mettre la charrue avant les bœufs : « Avant de parler de commercialisation, il faudrait déjà que l'utilisation du produit ne soit plus considérée comme criminelle, dit-il. De plus, si on veut distribuer le cannabis en pharmacie, il faut réaliser tous les tests avant sa mise en marché, comme on le fait d'habitude pour n'importe quel médicament. »
Tentatives de coffeeshops
Les deux cafés qui ont ouvert en 2003 et 2004 n'ont, quant à eux, pas fait long feu. Un peu plus à l’est sur la rue Rachel, on pouvait aller boire un café et « tirer une poffe » au café Marijane. Malgré quelques interpellations, le premier établissement où l'on pouvait apporter son joint servait de lieu de rencontre à tous ceux qui veulent briser les tabous et faire avancer le dossier de la légalisation du cannabis Il a fermé sept mois plus tard. Le Pot à Café, sur le boulevard St-Denis dans le centre-ville, a tenu encore moins longtemps : deux mois. Dans les deux cas, après quelques descentes de police, c'est la voie administrative qui a été choisie : la prétendue désuétude des locaux a eu raison du Café Marijane, et le doublement du loyer a mis en péril la santé financière du Pot à Café.
Derrière le projet du Café Marijane, se trouvait le Bloc Pot, un parti politique dirigé par Hugô St-Onge qui réunit jusqu’à 5% des suffrages lors des élections provinciales dans certaines circonscriptions.
Assez ironiquement, le Café Marijane était situé presque en face du poste de police du quartier dont les effectifs se retrouvent coincés entre le marteau et l’enclume. La loi n’étant plus adaptée à la situation actuelle, les six arrestations effectuées à l’intérieur du café n‘ont ainsi pas encore été suivies de mises en accusation. Selon ses anciens gérants, «la police veut éviter toute jurisprudence en sa défaveur». En 2002, le juge chargé du procès des bénévoles du Club Compassion, accusés de possession et de trafic de marijuana, avait, en effet, arrêté les procédures. Il avait alors argué « qu'en l’absence de sources d’approvisionnement légales, l'article 5 de la loi fédérale réglementant certaines drogues et autres substances, qui interdit la distribution à des fins thérapeutiques, brime les droits constitutionnels des malades qui peuvent consommer de la marijuana sur recommandation de leur médecin. »
Les sénateurs à la rescousse
En août 2002, le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, dirigé par Pierre Claude Nolin, a rendu un rapport qui a fait couler beaucoup d’encre. Tout en estimant que le cannabis est une drogue qu’il est préférable de ne pas consommer, le comité commence par indiquer que la substance n’implique de dépendance psychologique que dans 5 à 10% des cas, contre respectivement 35 a 50% pour le tabac et 15 à 20% pour l’alcool. Le rapport précise en outre que « comme toute autre drogue, le cannabis peut avoir des effets négatifs sur la santé. Mais comme d'autres drogues, il a aussi des effets positifs, d’ordre psychologique telles la relaxation, l’euphorie et la sociabilité, et des effets d’ordre thérapeutique. »
Un peu plus loin, on peut lire « qu’un demi-million de citoyens canadiens a un dossier judiciaire pour possession simple de cannabis», leur occasionnant donc des difficultés futures pour l’obtention d’un emploi ou d’un visa pour voyager et entraînant des dépenses « significatives » en termes d’effectifs policiers et de coûts judiciaires.
En conclusion, le comité souligne que la prohibition crée un marché noir qui met en contact les jeunes avec des éléments criminalisés pouvant être source d‘escalade vers les drogues dures. Quant aux politiques des gouvernements, elles ont des effets « négatifs », notamment en interdisant une véritable approche de santé publique, d'information équilibrée et de contrôle de la qualité des substances.
« On en est arrivé à un point de non-retour, juge Sébastien, membre du Bloc Pot. La police essaie juste de freiner l’inévitable : la légalisation du cannabis. » Les activistes cannabistes espèrent donc faire avancer rapidement ce dossier qui gène en outre selon eux, la diffusion à grande échelle du cannabis médical. Une légalisation qui permettrait aussi de faire avancer la culture du chanvre non psychotrope, « LA plante que tout le monde devrait mettre à son menu, selon Hugô St-Onge, car elle est très riche, notamment en Omega 3, 6 et 9. » Quand on connaît la popularité actuelle des Oméga 3 au Québec, voici un argument supplémentaire en faveur de la légalisation ! Selon la directrice de la Fondation Marijuana, Sonja Kleiman, la légalisation permettrait également de réconcilier les producteurs de chanvre et de cannabis car « ceux qui sont pour le chanvre, ne sont pas pour le cannabis, par peur de voir leur image ternie » (voir Asud-Journal n° 22).
Une industrie divisée qui empêche, selon elle, de faire avancer la cause de cette plante si particulière.
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