L'arroseur arrosé : 1. Le régime international de prohibition des drogues
Si l’on exclut les tentatives de la Chine d’interdire l’importation d’opium à partir de 1792, le régime international de prohibition de certaines drogues aura bientôt cent ans. En effet, les jalons de ce régime ont été posés en 1909 lors de la Conférence de Shanghaï, et concrétisés en 1912 par la Convention sur l’Opium de La Haye. Ce régime s’est graduellement transformé en échafaudage complexe de conventions spécialisées dont le motif principal était — officiellement du moins — la restriction de l’usage de certaines plantes et « stupéfiants » à des fins médicales et scientifiques.
L’éradication des cultures illicites à la source — concept qui fera l’objet d’une attention particulière dans ce document — fit son apparition dans le Protocole visant à limiter et a réglementer la culture du pavot, ainsi que la production, le commerce international, le commerce de gros et l’emploi de l’opium (Protocole de New York) de 1953. Ce concept fut assez mal reçu par les pays du Sud, alors en voie de décolonisation et peu enclins à accepter une ingérence étrangère dans le domaine de leurs ressources naturelles. En 1961, l’adoption de la Convention unique sur les stupéfiants [4] (Convention unique) a abrogé le Protocole de New York et toutes les conventions précédentes, en recyclant néanmoins un système de classification à la méthodologie douteuse et datant de 1931, et en ciblant particulièrement trois stupéfiants d’origine naturelle — la feuille de coca, le pavot à opium, le cannabis et leurs dérivés. La Convention unique avait aussi pour but d’abolir la mastication de la feuille de coca dans un délai de vingt-cinq ans à compter de son entrée en vigueur, objectif qui apparaît aujourd’hui complètement irréaliste.
La Convention unique a été amendée et renforcée par le Protocole du 25 mars 1972 portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 (Protocole de Genève). C’est à ce moment que le concept d’éradication à la source des cultures illicites a refait surface, par l’ajout de ces quelques lignes à l’article 22 §2 :
La Partie qui interdit la culture du pavot à opium ou de la plante de cannabis prendra les mesures appropriées pour saisir les plants cultivés illicitement et pour les détruire, sauf pour de petites quantités nécessaires pour la Partie aux fins de recherche scientifique.
Le Protocole de Genève a prévu en outre une aide financière aux pays dans lesquels l’application de la Convention pose problème (article 14 bis). Le concept de « développement alternatif » a donc fait son apparition pour la première fois en droit conventionnel. La responsabilité de son application pratique fut attribuée au Fonds des Nations unies pour la lutte contre l’abus de drogues (FNULAD, fondé en 1971), auquel succéda le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues (PNUCID) à partir de 1990.
Enfin, le régime de prohibition a pris une tournure beaucoup plus sévère à partir de 1988. Bien que des sanctions pénales aient été suggérées ou appliquées dès le début du XXe siècle, la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes [5] a considérablement restreint la marge de manœuvre des États en ce qui concerne les moyens déployés pour contrôler les substances, à en juger par l’article 3 §2:
Sous réserve de ses principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de son système juridique, chaque Partie adopte les mesures nécessaires pour conférer le caractère d’infraction pénale conformément à son droit interne, lorsque l’acte a été commis intentionnellement, à la détention et à l’achat de stupéfiants et de substances psychotropes et à la culture de stupéfiants destinés à la consommation personnelle en violation des dispositions de la Convention de 1961, de la Convention de 1961 telle que modifiée ou de la Convention de 1971.
Bien que cette convention stipule, à l’article 14 §1, que les mesures prises par les Parties « ne seront pas moins strictes » que les dispositions applicables aux termes des conventions précédentes, deux échappatoires permettent toutefois à un État d’éviter le recours aux sanctions pénales. Il s’agit bien entendu de ses « principes constitutionnels », mais aussi de l’utilisation des stupéfiants dans un cadre traditionnel, mentionnée à l’article 14 §2:
2. Chaque Partie prend des mesures appropriées pour empêcher sur son territoire la culture illicite de plantes contenant des stupéfiants ou des substances psychotropes comme le pavot à opium, le cocaïer et la plante de cannabis, et pour détruire celles qui y seraient illicitement cultivées. Les mesures adoptées doivent respecter les droits fondamentaux de l’homme et tenir dûment compte des utilisations licites traditionnelles — lorsque de telles utilisations sont attestées par l’histoire — ainsi que de la protection de l’environnement.
[4] Convention unique sur les stupéfiants de 1961 telle que modifiée par le Protocole du 25 mars 1972 portant amendement de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, 8 août 1975, 976 R.T.N.U. 105. En ligne: http://www.unodc.org/pdf/convention_1961_fr.pdf
[5] Convention des Nations Unies contre le trafic illicite des stupéfiants et des substances psychotropes, 19 décembre 1988, Doc. NU E/Conf.82/15. En ligne: http://unodc.org/pdf/convention_1988_fr.pdf
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