« Un nombre démesuré de morts évitables » : Toronto toujours en pleine crise des surdoses

aller plus loin que la Colombie-Britannique : sa demande concerne toutes les drogues, sans quantité limitée, et vise les jeunes autant que les adultes.

« Un nombre démesuré de morts évitables » : Toronto toujours en pleine crise des surdoses
La Ville continue d'explorer la décriminalisation des drogues, entre autres pistes de solution.

Le Téléjournal Ontario
Décriminalisation des drogues : Toronto attend encore une décision

Gros plan sur une seringue dans un centre d'injection supervisé.
Un an et demi après sa demande initiale, la Ville de Toronto espère encore une décision de Santé Canada quant à la décriminalisation des substances contrôlées.

PHOTO : RADIO-CANADA / EVAN MITSUI/CBC

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Camille Gris Roy (accéder à la page de l'auteur)
Publié à 5 h 36

La Ville de Toronto attend toujours le feu vert de Santé Canada pour pouvoir décriminaliser la possession simple de drogues sur son territoire. La métropole ontarienne veut aller plus loin que la Colombie-Britannique : sa demande concerne toutes les drogues, sans quantité limitée, et vise les jeunes autant que les adultes.

Calvin Henschell est frappé chaque jour par la réalité de la crise des dépendances. Nous avons récemment perdu un collègue à cause d’une surdose. Ça nous affecte partout, confie-t-il.

Le Torontois est à la barre d’un programme de réduction des méfaits au centre de santé communautaire de Regent Park, le Safer Opioids Supply (SOS). Les participants se voient offrir des produits pharmaceutiques pour remplacer la drogue de rue qu’ils utilisent. L’idée est de soutenir les consommateurs actifs, et de les relier à des services.

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Malgré ce genre d’efforts, le nombre de surdoses à travers la ville demeure beaucoup trop élevé, constate-t-il, et pourtant elles sont évitables.

Depuis la pandémie, les ambulanciers répondent en moyenne à 26 appels par mois pour des surdoses d'opioïdes mortelles, contre 13 avant mars 2020, selon les données de la Ville. En 2021, 591 personnes sont mortes de surdoses à Toronto.

Appels aux ambulanciers pour surdoses soupçonnées d'opioïdes (mai 2023)

non mortelles : 411
mortelles : 25
Source : Toronto Overdose Information System(Nouvelle fenêtre)

Les drogues qui circulent sont de plus en plus imprévisibles et toxiques, et contiennent des additifs qui exposent les gens à plus de risques, des substances comme des benzodiazépines ou de la xylazine, souligne Jessica Hales, infirmière praticienne qui travaille également au centre de santé de Regent Park.

Dans une ville aussi chère que Toronto, les consommateurs ont aussi de plus en plus de difficulté à satisfaire leurs besoins fondamentaux, ajoute-t-elle : un logement, un revenu.

Toujours pas de décision
Pour tenter quelque chose de nouveau face à cette crise, la Ville souhaite décriminaliser la possession simple de drogues. Après une première requête en janvier 2022 pour obtenir une exemption à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la santé publique de la métropole a présenté ce printemps une demande actualisée(Nouvelle fenêtre) à Santé Canada.

Il s’agit d’un modèle propre à Toronto, qui reflète la diversité de la métropole, insiste la Dre Eileen de Villa, médecin hygiéniste de la Ville.

Capture d'écran d'une entrevue en vidéoconférence avec la Dre de Villa, depuis son bureau.
La Dre Eileen de Villa, médecin hygiéniste de la Ville de Toronto.

PHOTO : ZOOM

À la différence de la Colombie-Britannique, qui a reçu une exemption de trois ans pour certaines drogues en quantité limitée, pour les 18 ans et plus, la demande de Toronto concerne toutes les substances, sans distinction et sans seuil, et inclut les jeunes en plus des adultes.

On ignore encore quand Santé Canada rendra sa décision. Nous continuerons à travailler avec le Bureau de santé publique de Toronto pour veiller à ce que les considérations de santé publique et de sécurité publique soient prises en compte, écrit une porte-parole du ministère fédéral.

Le Service de police de Toronto, en tout cas, soutient officiellement ce projet. Les agents déposent déjà très peu d'accusations pour possession simple – seulement six au cours des quatre premiers mois de l'année, note le surintendant Tyrone Hilton.

Tyrone Hilton, en uniforme, assis. Derrière lui, le logo de la police de Toronto.
Le surintendant Tyrone Hilton du Service de police de Toronto.

PHOTO : RADIO-CANADA / KEITH BURGESS

« Nous reconnaissons que les gens qui souffrent de problèmes de dépendances seraient mieux traités dans des établissements de santé, plutôt que d’être incarcérés ou de passer par le système judiciaire. »

— Une citation de Tyrone Hilton, surintendant de la police de Toronto
Mais, selon lui, la réussite d’une telle mesure dépend aussi d’un continuum de soins, l’accès à un réseau de services complémentaires.

Pas une solution unique
L'idée de la décriminalisation est surtout de faire tomber certaines barrières, la stigmatisation, avance le Dr Alexander Caudarella, premier dirigeant du Centre canadien sur les dépendances et l’usage des substances (CCDUS) et médecin de famille.

Cela peut encourager des personnes qui sont cachées, qui ne discutent pas de leur usage de substances, à se sentir plus confortables d'aller à l'hôpital ou chez leur médecin, ou même chercher un service social. Mes patients par exemple ont souvent peur que, s’ils se présentent à l’urgence pour dire qu’ils utilisent des drogues, on va les arrêter.

Mais quand on parle de la décriminalisation, il faut être clair sur ce qu'on essaie d'accomplir, poursuit le médecin, pour qui cela n’est en aucun cas une solution en soi. Lui aussi insiste sur le concept de continuum de services.

Capture d'écran d'une entrevue en vidéoconférence avec le Dr Caudarella.
Le médecin Alexander Caudarella est maintenant à la tête du Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances.

PHOTO : ZOOM

Lorsqu'il s'agit de problèmes médicaux, il est extrêmement rare qu'il existe un seul traitement ou une seule approche qui résoudra réellement le problème, renchérit la Dr de Villa. Elle souligne que sa requête à Santé Canada s’accompagne d’une demande d’aide aux autres gouvernements pour plus de services de soutien.

Toronto a l'intention d'ouvrir plusieurs nouveaux services de santé et de traitement en place d'ici la mise en œuvre de la décriminalisation, notamment au moins un emplacement au centre-ville, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, écrit la Ville dans sa requête.

Approvisionnement sécuritaire
Un mouvement vers la décriminalisation est positif. Mais ce n’est pas assez, parce qu'on ne s’attaque pas à la question du stock toxique des drogues de rue, répète pour sa part Jessica Hales, qui croit qu’il faudrait aller jusqu’à réglementer les drogues.

En ce moment, il y a un grand manque d'accès aux programmes de traitement. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui n'ont pas pour objectif d'arrêter de consommer des substances pour l’instant, ou qui ont tenté des programmes d’abstinence et qui continuent de consommer. Ceux-ci ont vraiment besoin d’autres programmes pour rester en vie, et qui peuvent être une voie vers la stabilité.

Calvin Henschell et Jessica Hales, assis côte à côte sur un banc dans un parc de Toronto.
Calvin Henschell et Jessica Hales travaillent tous deux au centre de santé communautaire de Regent Park, auprès d'utilisateurs de drogues.

PHOTO : RADIO-CANADA / PELIN SIDKI

En ayant accès à un approvisionnement en drogues plus sûr, ils ne font pas de surdoses aussi souvent. Cela réduit aussi leur anxiété et le besoin d’entreprendre des activités risquées pour gagner de l'argent et acheter de la drogue. Et, à partir de là, les gens peuvent faire des choix concernant leur consommation de substances, soutient-elle.

Données et évaluations
En fin de compte, il s’agit de trouver un équilibre entre toutes ces pistes, résume le Dr Caudarella.

« On sait que le taux de décès est inacceptable. On sait que ce qu'on a fait jusqu'à maintenant n'a pas été efficace, donc il faut être créatif. »

— Une citation de Alexander Caudarella
Mais quand on essaie de nouvelles choses, il faut aussi s'assurer qu'on fait des évaluations et qu’on considère aussi les répercussions pour la sûreté et la protection du public.

J'espère sincèrement que, plus nous présenterons des données et des preuves, que nous démontrerons le succès sur le terrain, plus nous serons capables d'avoir une conversation raisonnable qui ne soit pas polarisée, conclut la Dre de Villa.

Ce qu’en disent les candidats à la mairie de Toronto
Olivia Chow, Mitizie Hunter et Josh Matlow soutiennent la demande d’exemption de la Ville à Santé Canada et préconisent aussi une approche globale, qui inclut des services de désintoxication, de santé mentale, de logement.

Ana Bailão dit aussi qu’elle appuie la position de l’Association canadienne des chefs de police, et qu’il faut écouter l’avis des professionnels de la santé.

Brad Bradford note que, dans les faits, il y a déjà une décriminalisation à Toronto, mais qu’il manque de services de soutien.

Mark Saunders est contre la décriminalisation.

Anthony Furey a aussi déclaré qu’il interromprait les plans de construction de deux nouveaux centres d’injection supervisée et redirigerait les fonds vers le traitement.

L’infirmière Jessica Hales, elle, aimerait que les politiciens écoutent davantage les premiers concernés - les consommateurs de drogues - pour développer des programmes.

Souvent, ces gens sont tout simplement exclus de la conversation alors que ce sont des experts de la situation.

Camille Gris Roy (accéder à la page de l'auteur)
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