Si la marijuana était légalisée, l’augmentation du nombre d’usagers serait considérable et rapide
– Robert L. DuPont (2010)
Utiliser des preuves pour parler du cannabis
- Il a été affirmé que la prévalence plus élevée de l’usage de l’alcool et du tabac dans un marché réglementé sous-entend que l’usage du cannabis augmenterait aussi si celui-ci était réglementé. Les données de l’Organisation mondiale de la santé, cependant, suggèrent que les pays dont les politiques sur les drogues sont plus punitives ne voient pas un taux plus faible d’usage de drogues que les pays dont les politiques (c.-à-d. la réglementation) sont plus libérales (Degenhardt et autres, 2008). Ainsi, les allégations de causalité entre la prévalence de l’usage de drogue et l’environnement politique sont non fondées. Les preuves suggèrent tout simplement que la prohibition a, tout au plus, un impact marginal sur la consommation de drogues illégales.
- La comparaison des taux de prévalence de l’utilisation du cannabis avant et après les modifications législatives dans plusieurs pays d’Europe au cours de la dernière décennie environ indique qu’aucune association simple n’a été observée entre les changements aux lois et les changements de prévalence de l’usage du cannabis. Les pays dans lesquels les sanctions ont été augmentées n’ont pas exhibé de taux plus faibles d’usage, et des taux plus élevés n’ont pas été vus dans les pays qui ont diminué les sanctions (OEDT, 2015).
- En même temps, une vaste étude sur 15 ans a conclu que la présence de systèmes de marijuana médicale n’a pas mené à des augmentations de l’usage du cannabis récréatif par les adolescents aux États-Unis (Hasin et autres, 2015). En ce qui concerne les nouveaux marchés de cannabis récréatif (comme au Colorado, dans l’État de Washington et en Uruguay), il est probablement trop tôt pour évaluer adéquatement l’impact à long terme des changements de politiques sur les tendances relatives à l’usage du cannabis.
- Comme la réglementation juridique mène nécessairement à de nouvelles sources de disponibilité de la drogue, la façon dont ces sources sont gérées est essentielle pour contenir tout changement important de la prévalence de l’usage. Néanmoins, une réglementation légale stricte peut permettre un contrôle de la qualité (pour contrôler la puissance ou l’utilisation d’altérateurs), des restrictions quant à l’âge légal (pour que le cannabis ne tombe pas entre les mains des jeunes), un meilleur contact entre les systèmes de soins de santé et les consommateurs (pour mieux traiter l’accoutumance) et la collecte de taxes sur le revenu à réinvestir pour le bien social, par exemple dans l’éducation, la prévention et le traitement. Ces questions sont sans doute plus pertinentes pour la santé et la sécurité de la collectivité que la prévalence de l’usage du cannabis, puisque plus de 90 % de l’usage est non problématique (Anthony, Warner et Kessler, 1994).
État de la preuve
Certains observateurs se servent des statistiques sur l’usage de l’alcool et du tabac pour avancer que ces substances sont utilisées à grande échelle à cause de leur disponibilité, et prétendre que l’usage du cannabis augmenterait donc dans un système réglementé. Bien que l’alcool et le tabac soient réglementés et soient effectivement des substances vastement utilisées dans de nombreux pays, y compris le Canada et les États-Unis, cela ne signifie pas nécessairement que la population verrait une augmentation de l’usage du cannabis si celui-ci faisait l’objet de réglementation.
La contre-preuve aux allégations voulant que la réglementation mène à un usage accru provient d’une vaste étude qui s’est penchée sur les données d’usage des drogues à travers 17 pays (échantillon combiné de 85 052 participants) et fait partie des études sur la santé mentale réalisées par l’Organisation mondiale de la santé. Dans cette étude, Degenhardt et ses collègues ont étudié l’usage à travers la vie et l’âge au premier usage pour le tabac, l’alcool, le cannabis et la cocaïne (Degenhardt et autres, 2008). Les États-Unis et la Nouvelle-Zélande avaient le plus haut taux d’usage de cannabis (42 %) par rapport aux autres pays. Les États-Unis se distinguaient également par des taux plus élevés pour la consommation d’alcool et de cocaïne malgré un âge légal minimum plus élevé pour la consommation d’alcool et une politique plus sévère sur les drogues illégales que bien des pays développés comparables. Les Pays-Bas ont un taux d’usage du cannabis bien moins élevé que les États-Unis, particulièrement chez les jeunes, malgré un système réglementaire de facto pour le cannabis récréatif. Dans l’ensemble, les pays dont les politiques sur les drogues sont plus sévères ou punitives ne démontrent pas de taux plus faible d’usage de drogues que les pays dont les politiques sont moins sévères ou plus libérales. Cette tendance dans les observations a mené Degenhardt et ses collègues à conclure qu’« en soi, une politique punitive quant à la possession et l’usage mène à une variation limitée dans les taux d’usage des drogues illégales » (Degenhardt et autres, 2008).
Différentes études et divers rapports de surveillance comparant les territoires ont souligné l’absence de corrélation entre le statut juridique ou la sévérité des régimes de maintien de l’ordre et les taux d’usage des drogues (Degenhardt et autres, 2008; OEDT, 2015; Reinarman, 2009). De plus, les études longitudinales ne démontrent aucune association claire entre les changements aux politiques sur le cannabis et les taux d’usage. Par exemple, une vaste étude sur une période de 15 ans a conclu que la présence de systèmes de marijuana médicale n’a pas mené à des augmentations de l’usage du cannabis récréatif par les adolescents aux États-Unis (Hasin et autres, 2015).
Au cours de la dernière décennie, plusieurs pays d’Europe ont également modifié leurs politiques sur le cannabis. La comparaison des estimations de prévalence de l’usage de cannabis avant et après les changements de politiques peut indiquer s’il existe une association entre les changements législatifs et l’usage de cannabis.
La figure 3, de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), illustre les changements dans la prévalence du cannabis chez les 15 à 34 ans dans le temps (zéro représentant l’année d’une modification de la politique sur le cannabis) (OEDT, 2011). L’hypothèse juridique courante veut que l’augmentation des sanctions mène à une chute de l’usage des drogues et que la réduction des sanctions mène à une augmentation de la consommation. Si cela était vrai, les pays où les sanctions ont augmenté (c.-à-d. les lignes pointillées) verraient des diminutions de l’usage du cannabis suivant l’imposition de sanctions juridiques plus sévères, alors que les pays où les pénalités ont diminué (c.-à-d. les lignes pleines) verraient une augmentation de l’usage suivant la réduction des sanctions. Or, comme on le voit et comme le dit l’OEDT, « aucune corrélation simple ne peut être observée entre les changements législatifs et la prévalence de la consommation de cannabis » (OEDT, 2011).
Même si les preuves que la réduction des sanctions n’augmente pas la prévalence de la consommation de cannabis sont significatives, cela ne permet pas nécessairement de prédire que la réglementation législative ne mènera pas à une augmentation de la consommation. La réglementation juridique ouvre nécessairement de nouvelles sources de disponibilité de la drogue, et la façon dont ces sources sont gérées a le potentiel de créer des changements importants dans la prévalence de consommation (Kilmer, 2010; Kilmer et autres, 2010b). L’utilisation de contrôles réglementaires stricts et responsables, comme l’interdiction de la publicité et une taxation appropriée, est nécessaire pour contenir toute augmentation de la consommation.
Certains opposants à la réglementation du cannabis ont isolé les taux de consommation dans les États américains qui ont réglementé l’usage récréatif du cannabis. Des commentateurs ont par exemple remarqué que, selon les données des études nationales récentes sur la consommation de drogue et la santé (NSDUH), la consommation de cannabis au Colorado a augmenté de 2011-2012 à 2012-2013 et que l’usage du cannabis durant le mois précédent et l’année précédente ont dépassé la moyenne nationale, y compris chez les adolescents. Il est toutefois important de souligner que les ventes de cannabis récréatif aux adultes ont commencé officiellement au Colorado au début de 2014 (Hopfer, 2014). Trop peu de temps s’est écoulé depuis le début de la réglementation de l’usage récréatif du cannabis dans cet État pour bien évaluer l’incidence de ce changement de politique sur les tendances à long terme de la consommation de cannabis. Il est également probable que les gens ont sous-rapporté leur consommation de cannabis avant la réglementation à cause du stigmate associé à l’usage de drogues illégales. À court terme, les données sur la consommation de cannabis par les jeunes au Colorado suggèrent que la consommation est demeurée similaire ou même a diminué (surtout lorsqu’on compare les données des années 1990 jusqu’à aujourd’hui) chez les adolescents dans les années ayant précédé la réglementation officielle. Les données post-réglementation provenant du Department of Public Health and Environment du Colorado ont démontré que la consommation de cannabis par les adolescents au Colorado a continué de diminuer après la réforme législative (CDPHE, 2014).
[NOTE] La citation de Robert L. DuPont a été extraite d'un billet intitulé « Why We Should Not Legalize Marijuana » sur le site Web de l’Église de l’Illinois sur les problèmes d’alcool et de dépendance. Accès le 18 mars 2015 sur http://ilcaaap.org/2011/06/22/why-we-should-not-legalize-marijuana/
Références
- Anthony, J.C., Warner, L.A., Kessler, R.C., 1994. Comparative epidemiology of dependence on tobacco, alcohol, controlled substances, and inhalants: Basic findings from the National Comorbidity Survey. Experimental and Clinical Psychopharmacology 2, 244 268.
- Degenhardt, L., Chiu, W.T., Sampson, N., Kessler, R.C., Anthony, J.C., Angermeyer, M., Bruffaerts, R., De Girolamo, G., Gureje, O., Huang, Y., Karam, A., Kostyuchenko, S., Lepine, J.P., Mora, M.E.M., Neumark, Y., Ormel, J.H., Pinto-Meza, A., Posada-Villa, J., Stein, D.J., Takeshima, T., Wells, J.E., 2008. Toward a global view of alcohol, tobacco, cannabis, and cocaine use: Findings from the WHO world mental health surveys. PLoS Medicine 5, 1053-1067.
- DuPont, R.L., 2010. Why we should not legalize marijuana. CNBC. CNBC, New York.
- EMCDDA, 2011. Looking for a relationship between penalties and cannabis use. Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, Lisbonne.
- Hasin, D.S., Wall, M., Keyes, K.M., Cerdá, M., Schulenberg, J., O’Malley, P.M., Galea, S., Pacula, R., Feng, T., 2015. Medical marijuana laws and adolescent marijuana use in the USA from 1991 to 2014: Results from annual, repeated cross-sectional surveys. The Lancet Psychiatry 2, 601-608.
Commentaires récents