Le scrutin proportionnel
Voir, vol. 15 no. 48, jeudi 29 novembre 2001, p. 12
Ricard-Châtelain, Baptiste
Un groupe de personnalités l'a ramené sur la place publique; les péquistes l'ont ressorti des oubliettes... Mais est-ce que le mode de scrutin proportionnel serait vraiment avantageux? Assurerait-il la représentation de tous les courants de la société? Éclaircissements.
«On a un système bâti sur le principe de gagner ou perdre des élections, ce qui est une monstruosité. Tout le monde est censé gagner les élections. On est censé gagner une représentation.»
Pas de doute. Le professeur associé à l'École nationale d'administration publique, André Larocque, rêve d'une réforme en profondeur de notre mode de suffrage. Il faut dire que l'idée lui trotte dans la tête depuis un bon moment. Il était sous-ministre responsable de la réforme électorale à l'époque de René Lévesque, un ardent défenseur du concept. De surcroît, il est membre du Mouvement pour une démocratie nouvelle qui réclame un débat public sur la question.
Il admet néanmoins que le système uninominal majoritaire à un tour, ou si vous préférez le système britannique, comporte un avantage de taille. «Le grand intérêt du mécanisme actuel, c'est sa simplicité. De plus, tout le monde le connaît.»
«Mais, s'empresse-t-il d'ajouter, on détourne l'histoire du Québec avec ça.» Pour nous en convaincre, il souligne, comme tous ses frères de lutte, l'iniquité résultant des élections de 1998 à l'issue desquelles le Parti libéral du Québec a obtenu plus de voix que le Parti québécois. Remontant dans ses souvenirs, il se demande même à quoi ressemblerait notre province si Lévesque avait obtenu 23% des sièges en 1970...
«Il n'y a que quatre pays dans le monde qui conservent ce système archaïque: l'Angleterre, l'Inde, les États-Unis et le Canada. Et qui plus est, le pays qui l'a inventé est en train de le remettre en question sérieusement», insiste Larocque.
Une foule de variantes
Force est d'admettre, cependant, que la proportionnelle n'est pas nécessairement l'apogée de la représentation. Dans certains pays, les partis établissent une liste de candidats. Ensuite, selon le pourcentage obtenu lors du scrutin, ils nomment le premier, puis le deuxième, et ainsi de suite... L'électeur ne choisit donc qu'un parti, pas ses représentants. «C'est niaiseux. Ça ne donne aucune liberté aux électeurs.»
Évidemment, avec un tel procédé, seuls les bonzes des grandes formations politiques se retrouvent en chambre. Oubliez les jeunes.
Ailleurs, on fait dans la complexité. Par exemple, s'il y a 125 sièges, les électeurs doivent voter pour 125 candidats. «Une liste nationale, il faut éviter cela», croit Larocque.
Il existe néanmoins des variations. Les Allemands élisent des députés au niveau local. Puis, afin de rétablir l'équilibre, ils votent pour un parti sur le plan national, des sièges étant réservés pour cela. Un peu moins complexe.
En Suisse, on a préféré opter pour une division du territoire en grandes régions. Si nous transposons ce modèle au Québec, plutôt que d'avoir 125 comtés, nous nous retrouverions avec 25 circonscriptions. Cinq candidats devraient être élus dans chacune d'elles. Ainsi, les citoyens ne perdent pas complètement leur représentation locale.
L'avantage premier demeure toujours que les différents intérêts de la population sont représentés, souligne Jean Crête, professeur et directeur du Centre d'analyse des politiques publiques à l'Université Laval. Les débats de société sont plus forts.
«Dans un système électoral qui favorise l'agglutination, l'agrégation, il faut que les partis politiques fassent à l'intérieur d'eux-mêmes des compromis pour rallier beaucoup de monde, pour couvrir large. Tandis que si c'était à la proportionnelle, le compromis pourrait se faire après les élections», explique-t-il.
D'ailleurs, si notre système électoral changeait, les deux grandes formations éclateraient probablement. Par exemple, les anglophones appuient majoritairement le PLQ. Mais ils ne sont pas tous de droite. Ainsi, ils pourraient créer un autre clan. Il en va de même pour les souverainistes de l'extrême gauche. Dès lors, l'univers politique québécois serait constellé de partis divers. C'est pourquoi, pense monsieur Crête, ni le PLQ ni le PQ n'ont encore mis en branle la réforme.
«Ça permettrait l'expression de certaines idées qu'on n'a pas maintenant, poursuit-il. Si le principal parti ne détient pas la majorité, il doit créer une coalition.» Les plus petits peuvent alors monnayer leur appui.
Et, tant qu'à amorcer un débat sur le mode de scrutin, Jean Crête croit que nous ne devrions pas nous arrêter en si bon chemin. Pourquoi ne pas entreprendre une réforme en profondeur de nos institutions? «Parce que dans le système britannique, si le premier ministre contrôle bien son parti, il contrôle le reste. Il nomme les ministres, il décide de ce qui passera ou non en Chambre. Il peut faire à peu près n'importe quoi. On voit à quel point le premier ministre est puissant dans notre système.»
De la place aux petits
Une réforme en profondeur, c'est ce que réclament les Claude Charron, Claude Ryan, Marc Laviolette, Jean Allaire et autres 125 signataires d'une pétition du Mouvement pour une démocratie nouvelle. «On n'arrive pas avec une recette établie d'avance. On demande un débat public devant les citoyens, pour que ces derniers puissent exprimer leurs doléances et proposer ce qu'ils veulent. Que le vote retrouve sa signification», articule le président du groupe, Paul-André Martineau.
«Si l'on prend chacun des partis politiques à l'Assemblée nationale et qu'on divise le nombre de votes reçus par le nombre de députés élus, on arrive à des choses assez aberrantes. On est très, très loin du "un électeur, un vote".» Une image: l'Action démocratique du Québec a obtenu un siège avec plus de 480 000 voix...
Évidemment, les tiers partis ne demandent pas mieux. «C'est sûr que nous, nous croyons à une meilleure forme de représentation. Avec les résultats que nous avons obtenus, nous pourrions même avoir un siège! lance le leader du Bloc Pot, Marc Boris Saint-Maurice. Ça pourrait servir d'amplificateur. Nous rejoindrions encore plus de monde.»
Saint-Maurice est conscient qu'on nage ici en pleine utopie, du moins pour l'instant. Mais il imagine bien un représentant de son parti en chambre prenant contact avec les autres élus et les forçant à se prononcer sur le programme du Bloc Pot. Tout comme pourraient le faire d'autres formations marginales.
Le gain le plus considérable demeurerait la crédibilité. La population constaterait que les idéaux d'autres mouvements rassemblent une masse critique d'électeurs, selon lui.
Point de vue partagé par un des porte-parole du Parti vert au Québec, Sam Moisan-Domm. Il craint toutefois qu'advenant une réforme, les principales formations en place n'établissent un mode de scrutin qui leur permettrait de limiter les pertes. Pour lui, il ne peut être question que d'une proportionnelle à la grandeur du Québec. Sinon, tous les groupes de moindre envergure seront écartés.
Malheureusement, il n'a pas été possible de nous entretenir avec le ministre responsable de la réforme électorale, Guy Chevrette. Répondra-t-il aux attentes de certains groupes?
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