La réglementation ne réduira pas les crimes liés aux drogues

Utiliser des preuves pour parler du cannabis

  1. Un argument courant est que la réglementation des marchés du cannabis ne réduira pas les crimes liés aux drogues. Il n’y a toutefois pas d’études scientifiques portant sur le caractère supposément florissant des crimes liés aux drogues dans un marché réglementé, et il est encore trop tôt pour évaluer correctement cet effet au Colorado, dans l’État de Washington ou en Uruguay.
  1. Il est bon de rappeler que la prohibition entraîne des taux élevés de crimes liés aux drogues et de violence. Une abondance de preuves scientifiques a démontré que la prohibition échoue dans ses efforts de réduction de la taille des marchés de drogues illégales, du trafic et de la violence associée aux marchés des drogues illégales (Werb et autres, 2013; Werb et autres, 2011). Comme la prohibition est incapable de réduire le crime et la violence, la réglementation demeure une solution de rechange envisageable.
  1. Les marchés réglementés pour le cannabis réduisent directement les crimes liés aux drogues en supprimant la nature illégale de certaines formes de production, de distribution et de consommation de cannabis. Même s’il est probable que les crimes liés aux drogues se poursuivront dans un marché réglementé (c.-à-d. l’achat par des mineurs, l’approvisionnement continu provenant d’un marché criminel, etc.), si la réglementation est conçue de manière appropriée, la réglementation du cannabis transfèrera la demande du marché criminel au marché légal. La réglementation du cannabis au Colorado, dans l’État de Washington et en Uruguay a transféré une part substantielle (probablement la vaste majorité) du revenu des ventes de cannabis du marché criminel aux vendeurs légaux, diminuant ainsi la part totale du marché criminel. On peut voir comme positive même une diminution modeste des occasions criminelles et des profits du crime organisé.

État de la preuve :

Un argument courant pour appuyer la réglementation du cannabis est que celle-ci réduirait la violence associée au trafic des drogues illégales et les ressources judiciaires pour les arrestations et poursuites relatives aux crimes liés aux drogues. Les opposants répondent que la réglementation des marchés du cannabis ne réduira pas les crimes liés aux drogues. Pour appuyer cette thèse, on a affirmé, par exemple, que le Colorado a vu, au cours des dernières années, des augmentations importantes de saisies de cannabis dans les colis postaux et d’autres formes de transport qui auraient été déroutés vers d’autres États (Rocky Mountain HIDTA, 2013). Les médias et des groupes comme Smart Approaches to Marijuana ont suggéré que les marchés noirs pour le cannabis sont florissants dans l’État de Washington et au Colorado (Smart Approaches to Marijuana, 2015). Il a également été estimé que les cartels mexicains tirent une minorité de leur revenu du cannabis et que la réglementation du cannabis ne contribuerait que peu à réduire les autres activités illégales et crimes liés aux drogues (Kilmer et autres, 2010a).

Même s’il est probable que les crimes liés aux drogues se poursuivront dans un marché réglementé, dans les systèmes fondés sur la prohibition, les marchés criminels contrôlent 100 % du marché du cannabis. En contraste, les marchés réglementés détourneront au moins une portion des revenus vers les mécanismes légaux.

Dans l'ensemble, il n'y a pas d’études empiriques de qualité pour étayer à quel point les crimes liés aux drogues sont florissants dans les systèmes réglementaires de cannabis récréatif. Malheureusement, la situation des Pays-Bas n’est pas très instructive à cause de l’approche juridique inusitée en vigueur : bien que la vente de cannabis dans les « cafés » soit tolérée, l’approvisionnement se fait toujours par l’entremise de producteurs et de fournisseurs criminels. Au Colorado et dans l’État de Washington, trop peu de temps s’est écoulé depuis l’entrée en vigueur de la réglementation sur le cannabis pour une évaluation adéquate de la situation. Il est également difficile d’étudier l’impact d’une modification des lois relatives aux drogues sur le crime en général ou même sur les crimes liés aux drogues en particulier, car les changements liés au crime peuvent être dus à plusieurs facteurs, y compris des changements sociostructurels. Les marchés criminels sont, de surcroît, notoirement difficiles à quantifier. Néanmoins, les marchés réglementés pour le cannabis réduisent directement certains crimes liés aux drogues en supprimant la nature illégale de certaines formes de production, de distribution et de consommation de cannabis – tenant pour acquis que la demande demeure relativement constante.

Si certains observateurs avancent que la réglementation du cannabis n’a pas réduit les crimes liés aux drogues de façon importante, la preuve ne permet pas de suggérer que la prohibition a été plus efficace. D’abondantes preuves scientifiques ont cependant démontré que la prohibition échoue dans ses efforts de réduction de la taille des marchés et du trafic de drogues illégales. Werb et ses collègues ont étudié les indicateurs d’approvisionnement des drogues illégales tirés des données des systèmes de surveillance gouvernementaux et ont conclu qu’au cours des deux dernières décennies, les prix de l’héroïne, de la cocaïne et du cannabis ont diminué et que leur pureté a augmenté (Werb et autres, 2013a). Durant la même période, les saisies de ces drogues avaient généralement augmenté ou étaient demeurées stables au plan international. Ces conclusions réunies suggèrent une augmentation générale de l’approvisionnement illégal de ces substances malgré les efforts internationaux axés sur la réduction de l’approvisionnement. Dans un contexte de prohibition, le cannabis représente un marché hautement lucratif (Kilmer et Pacula, 2009). Pour donner un exemple précis, on estime la valeur annuelle du marché interne du cannabis illégal en Colombie-Britannique à entre 400 et 600 millions de dollars (Werb et autres, 2012), et le même marché dans l’État de Washington, avant la réglementation, à environ 300 millions de dollars (Archambault et autres, 2013). La réglementation du cannabis récréatif dans l’État de Washington a, à tout le moins, intégré une partie importante de ce marché illégal dans un système réglementé.

Enfin, il semble faux de croire que les réactions aux marchés illégaux de drogues qui s’appuient sur la répression policière réduisent la violence associée aux activités criminelles. Une étude systématique récente a évalué l’impact du maintien de l’ordre relatif aux drogues sur la prévalence subséquente de la violence criminelle reliée aux drogues (Werb et autres, 2011). Cette étude a conclu que plus de 90 % des études scientifiques rapportaient une augmentation de la violence comme résultat des opérations policières liées aux drogues et que, dans bien des cas, cette augmentation durait jusqu’à deux ans. Ces conclusions suggèrent que les réactions s’appuyant sur la prohibition ont peu de chance d’être plus efficaces que les approches réglementaires pour réduire les taux de crimes violents liés aux drogues.


Références
  1. Werb, D., Kerr, T., Nosyk, B., Strathdee, S., Montaner, J., Wood, E., 2013. The temporal relationship between drug supply indicators: An audit of international government surveillance systems. BMJ Open 3.
  1. Werb, D., Rowell, G., Guyatt, G., Kerr, T., Montaner, J., Wood, E., 2011. Effect of drug law enforcement on drug market violence: A systematic review. International Journal of Drug Policy 22, 87-94.